L’effet tunnel en gestion de projet
Comment rater un projet !
Choses entendues à l’occasion d’un point projet…
Le Client : — J’ai provoqué cette réunion pour savoir où vous en êtes. Je suis inquiet : nous sommes aux trois quarts du délai et je n’ai pas encore vu un seul livrable, ni eu à répondre à une seule de vos question.
Le Chef de projet : — Tout se passe bien : nous avons complété le cahier des charges fonctionnel, nous avons construit une maquette, et la réalisation du produit est en très bonne voie. Par contre, on livrera avec un peu de retard.
Client : — Et vous estimez à combien le retard de livraison ?
CDP : — Oh, pas plus de trois à quatre semaines.
Le Client, irrité : — Avez-vous une idée de ce que va me couter ce retard ? Par ailleurs le fait que je n’ai ni validé le cahier des charges fonctionnel ni vu la maquette ne vous inquiète pas ?
CDP : — Vous nous avez parfaitement décrit votre besoin en début de projet, on n’a fait que transcrire vos exigences dans le CDCF. C’est un document un peu arride, et on ne voulait pas vous déranger inutilement. Quant à la maquette, elle n’était pas très présentable, elle avait juste pour but de valider quelques points très techniques.
Client : — J’ai bien fait de m’inquiéter. Non seulement j’apprends que vous avez du retard, mais je crains fort que le produit ne réponde que très partiellement a mes exigences. Je vous propose que l’on se revoie la semaine prochaine, vous me présenterez votre cahier des charges ainsi que la maquette. D’ici là n’avancez pas trop sur la réalisation du produit, ce pourrait bien être du temps perdu et de l’argent gaspillé.
CDP : — Bien, monsieur
Client : — Au fait, mon avocat assistera à cette réunion
L’effet tunnel
Si ce court récit est imaginaire, il ressemble néanmoins furieusement à des situations tout à fait réelles. Bien des projets échouent par manque de communication de l’équipe de projet avec les parties prenantes. Au premier rang desquelles le client lui-même. Cette situation est tellement fréquente qu’elle porte un nom : l’effet tunnel.
Le tunnel est une métaphore : Le Client a exprimé son besoin au début de projet, on lui livrera le produit à la fin. Entre les deux, rien, le silence, le tunnel !
Taylorisme et peur du client
Pourquoi ce phénomène d’effet tunnel est-il aussi fréquent ? On peut citer au moins deux causes, l’une méthodologique, l’autre comportementale.
– Parlons d’abord des dégats de l’approche « prédictive » du management de projet. Autrement dit de l’idée que le processus projet peut être parfaitement normé, taylorisé, découpé en tranches dont chacune est confiée à un spécialiste. Dans un tel modèle on considère que si le besoin a été correctement décrit les spécialistes peuvent ensuite travailler en toute autonomie. Et que si ces spécialistes son normalement compétents le résultat sera parfait. Ce modèle prédictif fonctionne, mais seulement dans des projets très répétitifs comme ceux des secteurs du bâtiment et des travaux publics. Dans ces projets chaque spécialiste peut se borner à appliquer les « règles de l’art » sans jamais avoir à faire preuve d’initiative, et souvent sans même connaitre le client. Or, dans d’autres domaines, comme l’informatique ou la création de produits industriels, les incertitudes, les zones d’ombre et l’éventail des choix possibles sont nombreux. Conduire de tels projets en mode prédictif c’est aller de façon quasi-certaine à l’échec.
– Je vous ai annoncé une cause comportementale, voici de quoi il est question : Le projet est passionnant, on déborde d’idées, on prend des initiatives sans toujours demander l’accord du client (il pourrait ne pas être d’accord, ce serait frustrant). Quand on prend du retard, on n’en parle pas au client : à quoi bon l’inquiéter inutilement, on rattrapera le temps perdu et on livrera à l’heure. Que viennent des difficultés techniques et on fait assaut d’imagination pour les résoudre, on tord un peu le cou au cahier des charges mais c’est pour la bonne cause. Ici encore on est dans le tunnel. On y est entré de bonne foi mais on y est bel et bien et les conséquences seront là encore catastrophique. Le client s’inquiète de ne pas être livré à la date convenue. On tente de se justifier en lui expliquant à quel point on s’est battu contre les éléments. Rien n’y fait, il reste furieux. Et lorsqu’on achève enfin et qu’il découvre l’écart entre ce qu’on lui livre et ce qu’il espérait, sa colère monte encore d’un cran.
La solution ? Jalonnez, soyez agiles et communiquez
Alors, direz-vous, comment faire pour éviter ce désastreux effet tunnel ? C’est extrêmement simple, cela tient en deux règles :
– D’abord jalonner le projet. Le mot peut paraître énigmatique mais la réalité est simple. Jalonner un projet c’est fixer de trois à cinq objectifs intermédiaires, les jalons du projet. Chaque jalon donnera lieu à une rencontre avec le client à l’occasion de laquelle il constatera que tout ce qui devait être fait est réellement achevé et que cela lui convient. Si ce n’est pas le cas on décidera d’un commun accord des mesures correctives ou au pire de la nouvelle orientation à donner au projet.
– La première règle était purement technique, la deuxième est comportementale. Elle consiste pour le maître d’œuvre à jouer franc jeu, c’est à dire à ne rien cacher au client des difficultés rencontrées. L’effet est double : sur le plan opérationnel cela permet de trouver la meilleure solution au problème, c’est à dire la plus acceptable par le client. Sur le plan psychologique cela renforce le client dans l’idée qu’il a bien choisi son fournisseur et qu’il peut lui faire confiance. Les chefs de projet ont tendance à penser qu’ils se diminuent en avouant une faiblesse, en fait c’est l’inverse qui est vrai.
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